En cette journée internationale de la femme, je vous présente la première micro-revue du festival Dans ta tête, "Un peu comme du chiendent", sous la direction de Mayra Bruneau da Costa.
Lisez ces six voix émergentes et sublimes.
Bonne journée mes amours, Arreuh xxxx
On va dire les vraies affaires
Mayra Bruneau Da Costa
On va dire qu’on n’a pas peur du noir
qu’on est éternelles
que l’on s’assoira su’l quai
et que l’on regardera le soleil se lever su’l
lac
se coucher, aussi, si on veut
Tout aura alors un sens
à tout jamais un sens
Emmitouflées dans la tulle
un cocon qui protège rien
exit nos cœurs
si frêles
si purs
si beaux
On va dire qu’on est libres
tellement libres que s’en est étourdissant
un beau manège
sans le mal de cœur
libres
d’être
de choisir
de rire fort
pis de brailler
On va dire qu’on déracinera les complexes
et qu’on arrachera les derniers phallus
comme de la mauvaise herbe
que l’on plantera de la douceur à la place
un grand jardin velouté
à l’abri de la force
On va dire qu’on est fières
ô combien fières
d’être des femmes
de porter en nous
tout le poids de la vie
car il faut se l’avouer
il n’y a rien
de plus merveilleux au monde
qu’une femme
Bonne journée à toutes!
Bonne lecture,
Mayra Bruneau Da Costa
à bras ouverts
pour Marie Davidson
Mykalle Bielinski
I.
des lunes et des naufrages
je me rappelle de toi qui avait la rive
qu'on marche
l'amie des sources tranquilles
tu avais l'art de savoir quoi faire
pour qu'on aille bien
aucun lac ne me connait
tant et aussi longtemps
que tu es dans les parages
pour que je meurs
près de notre promenade
qu'on se souvienne des tombes
du haut de notre tour
à la « Porte d'Italie »
où sommes-nous allés
II.
la lunatique
un hémisphère second
la pluie a tombé comme nous sur la chaussée
les casios avaient prédit d'être enterrés
là-bas
III.
aimerais sentir
te voir y déposer
quelques rosées
des poussières
cimetière
Montparnasse
aimerais encore
un échange de corps
du sol au ciel
IV.
moi
wah
wah
une tempête porte notre nom
V.
à genoux
devant les pétales empilés
pourpres d'essayer de devenir
astres de rosiers
à s'étouffer
juste avant de mourir
VI.
pour décembre 2006
il y a six ans
j'essayais de porter plus haut que moi
cette idée de traverse
sur les coques l'eau revole
des corps projetés par le dix-neuvième siècle
VII.
me dialoguent à l'envers
les copines
font des flashs bang
quoique tu fasses
à vents contraires
i’m coming home
avec ces reines
VII ½.
des séismes
les copines
libérées qu'elles étaient
où que tu sois
longue vie après la mort
i'm coming home
beuglant speakeasy
la face pleine de vertige
de la fenêtre
on tire les eaux fortes
de la Saône
remonte à la surface
comme me lève le cœur
le souvenir d'être partie de nulle part
pour rejoindre un plus grand néant
avec toi
Jouir la bouche fermée
Roxane Desjardins
je vais essayer
par-dessus tout ce que j’ai d’étalé
de fatigué de gêné de pâle de soumis
par-dessus la certitude de ne rien avoir à donner
par-dessus que je n’ai rien dans le ventre
je peux essayer
de rhabiter mes jambes de les déposer dans mes pieds
j’ai peut-être assez de muscles une fois raboutée
pour
sortir de mon litte
si je te confie les années qui me restent comme un secret très secret
te trouves-tu assez de désespoir pour habiter dedans
pour oublier que c’est renoncer à la folie de ciel bleu
des
trois premières semaines
je voudrais accepter de m’embarquer puis de t’embarquer
dans une affinité qui ne finirait jamais
j’éparpille les petites minutes qui nous séparent de nous pour mieux les regarder
ça
tire chaque fois que tu ne viendras pas
même
quand tout est décidé que le sort est jeté
que
tout m’envoie disparaître ensorcelée dans mes délires de foquée
je
t’attends
planquée
dans ma vertu
abrillée
dans mes couvertes
je
t’attends et je suis une tour imprenable
ma
tête est blindée c’est toi que j’attends et toute la misère
ne
me coûte rien
je tue le temps et les mouches avec les coups de fouet de mon impatience
je résiste aux rires clairs aux sirènes de printemps
qui
chicanent mon silence
je
jonche la doublure d’une journée de copeaux d’armistice
j’ai
trop conscience de ton poids
si
je peux sortir c’est dehors que la lumière m’abat
le
duel est court je suis à court
de
fumées dans mon feu
mes
mains sont vides et je m’en vais
voir
ailleurs si tu y es
j’entame
une marche qui n’est pas pour finir
où
mes petits pas passent par-dessus mes petits pas d’hier
je
sillonne un cahier où la candeur ne t’arrête pas
j’essaye
très fort tu m’as dit très fort j’essaye
de
ne pas arriver de tenir
dans
la joute indélébile avec mes pattes pliées
j’essaye
très fort de mettre des couleurs dans les silences qui durent
de
regarder l’air bouger et les notes les plus graves
me
scier dans le plancher
je
me secoue
tout
est encore pareil
survivre
c’est facile quand c’est fini
j’attends la lumière quand elle bouleverse tes cheveux
sur le petit pas étroit de ta porte d’en avant
pour cette absence-là j’ai des années mes petits doigts à volonté pour dessiner
une beauté à l’escalier
un
chat dans l’arbre
un aboutissement à mes dévidages
Mésententes
Leilah Bruneau
J’ai envie de tout ce qui n’est pas
toi.
J’ai envie de tout ce qui est toi, de
toi.
Mais seulement
parfois.
You know, someone asked me out! In the bus. I was in a
good mood, so I said no.
J’ai envie de tout ce qui n’est pas
toi.
Toi aussi. Mais seulement parfois.
Par moments je veux tout le
contraire : l’inverse, le vice-versa.
Dis-moi pourquoi.
Et
puis?
J’ai oublié. Je ne sais pas pourquoi.
J’ai
dit non.
« Vraiment? » me diras-tu, me
dirais-tu.
M’oublierais-tu?
On ne sait plus. De quoi tu parles?
Nous lui dirons oui. La prochaine fois…
Dites
oui! Please… just
one coffee.
Relation
malade.
Mortifère
La vie, la vraie, concrète, nous
échappe, nous oublie, continue sans nous. You’re so pretty. I know it may sound crazy, but would you go out with
me? Je suis belle. J’entends ça souvent.
Pas de toi. Tes mots vident de sens – hypocrites comme nous. « T’es
tellement belle », me disais-tu. Ça ne veut plus rien dire quand tu
parles. J’ai envie de tout ce qui n’est pas toi, mais trop souvent. Reste avec
moi. Pas dans la contrainte ou l’imagination. Nous sommes bien pourtant, mais
juste quand tu es là.
Ton imagination est trop fertile.
Tu vis dans un rêve.
Chimères – désirs physiques. Je
traverse son esprit, le tien, le mien, les autres. Elles aussi.
On ne sait plus. De quoi?
« Tu délires », me disais-tu.
Du calme. I hope he knows how lucky he is.
Calme-toi j’ai dit. Il me dit ça
calmement. Elle – moi : ne sait plus comment réagir.
Désirs inappropriés. À l’image du
monde. Le tien, le mien, les autres.
Devant les autres je t’oublie.
« Dis-moi pourquoi. »
Ta voix se brisera.
M’oublieras-tu?
Une fois de plus : un autre à qui
dire oui, à qui dire non.
Trahison? Trahisons? Je ne sais pas –
plus. J’oublie volontairement. Je veux tout ce qui n’est pas toi, seulement
parfois. J’ai dit non. Du calme. Désespérantes
vérités.
Joue avec moi – mais ne le dis surtout
pas. Wait! I’ll go
with you.
Mensonges heureux, oubliés.
Cloé
Verreault-Bouchard
On s’éblouissait à la violence d’une orchidée sur
l’eau
D’un brillant égaré sur ta joue
Les murs se souviennent de nos tempêtes
sur les Grands Lacs artificiels
Noyés d’air étranglés
d’avoir respiré trop fort
Tu n’étais plus l’éclat de tes yeux
à chercher des preuves dans mes flaques d’eau
Je dansais pour ignorer la pluie s’infiltrant
par chacun des trous de la fusillade
Inondée
Je t’ai aimé sans pièce à conviction
Notre chambre le Vietnam
innocents bombardés épars
On perd des morceaux
À chaque tournant deux solitudes
étendre le rouge
sur la route nos peaux
brûlées trop vite
Nous avons perdus
Combler le vide
je rêve de vols à mille outardes
pourquoi toujours
la boue gelée
les champs qui font mal
et aucun fleuve
à perte de vue mourir
le souffle court
nous aussi
Je nous enterre à marée basse
mon amour
nous n'aurons jamais de croix
jamais d'autel où se dire oui
LA PREMIÈRE CHAUSSETTE : MÉMOIRES
D’UNE MOM-TO-BE
Gabrielle Camiré
La première chaussette enfilée,
oufff… M’en reste une deuxième et une paire de bottes ensuite. Parfois
j’éclate de rire seule dans mon appartement. J’ai vingt et un ans et je dois
demander de l’assistance pour enfiler une paire de chaussettes… J’ai vingt et
un ans, et mes brassières se détachent par devant pour me laisser passer un
sein. J’ai vingt et un ans, et par-dessus tout, je ne me suis jamais sentie
aussi confiante, aussi sexy.
Parfois, c’est vrai, j’éclate de rire
toute seule. Pourtant le 10 octobre au soir, un rouleau de peinture à la main
et la pire odeur de merde de pigeon qui flotte dans l’air (merci peinture
écologique), je m’assieds sur une chaise pas trop loin et me mets à pleurer. Je
regarde autour de moi et dévore la pièce des yeux. Devant moi, une petite
commode noire ornée de quatre peluches et d’une pile de couvertures colorées. À
ma droite, une bassinette en bois foncé dans laquelle repose un coussin
d’allaitement, un sac de couchage miniature destiné à être placé dans un siège
d’auto tout aussi miniature et juste au-dessus du berceau, accroché au mur, un
gros insecte vert en plastique qui illumine doucement la scène. Un
« kick » de mon petit Élie me ramène doucement à la réalité lorsque
je lui dis: “Ça sert à rien tout ça! Tu vas dormir avec maman toute la vie”.
J’ai pleuré car pour la première fois,
j’ai su que c’était réel, c’était à ma porte et que c’était devenu, au courant
des six derniers mois, ma raison d’être. Je n’ai plus peur d’être devenue
« plate », d’être exclue des invitations à aller boire après les
cours, d’être la fatigante qui vous parlera tout le temps des progrès stupides
mais ô combien importants que mon fils aura accompli cette journée-là. Mon
fils, c’est tout ce que j’ai en tête en tout temps. Je comprends enfin comment
on a pu survivre des millions d’années. C’est par amour de ceux que l’on crée,
que l’on protège, que l’on instruit et perfectionne toute notre vie. Y’a
absolument rien de plus fort, croyez moi.
Parlant d’instruire, ça me semble la
parfaite journée pour me faire une théière de tisane à la camomille et faire
découvrir Damien Jurado et Fionn Regan à cet être qui, je l’espère,
sera comme moi un éternel amoureux de la musique.