"On a pu voir paraître, quelques mois à peine après le "printemps érable",
plusieurs dossiers spéciaux, d'essai ou de fiction, qui tentaient de comprendre
et raconter l'événement. Plusieurs mémoires de maîtrise porteraient même
présentement sur le sujet. Mais même si chaque publication essaie
consciencieusement d'éviter les pièges, l'effet de masse ne peut produire au
final qu'une sorte d'institutionnalisation instantanée qui, faute de distance
suffisante, tourne plus souvent qu'autrement à la célébration et la
folklorisation, à la séparation de la praxis qui engage complètement
l'individu et de son récit qui n'engage que sa parole.
Pavé et
mémoire consiste en 36 pages reliées par quatre boulons à une véritable
brique rouge qui en constitue le centre. Une "brique littéraire", un texte
"lourd", une lecture potentiellement "assommante"... Les métaphores
s'agglomèrent autour de cet objet, mais n'arrivent pourtant pas à l'épuiser, à
en atténuer la singularité. Car cet objet est incriminant, il pourrait être
considéré comme une arme lors d’une fouille policière et il incarne pour cela
toute l'ambiguïté propre aux dérapages idéologiques apparus dans l'espace
public au printemps 2012 lorsqu’une marque militante, une oeuvre politiquement
engagée pouvait entraîner une arrestation et une détention arbitraires. Pavé
et mémoire en parle : nous avons vu pointer un instant chez nous l'ombre du
totalitarisme qui confond la violence et la critique, la dissidence et la
délinquance. Et c'est ce souvenir terrifiant qui donne à la brique sa lourdeur,
sa pesanteur terrible. Elle conserve par sa matérialité même ce quelque chose
d'engageant, de risqué, qu'aucuns des textes publiés dans les mois qui ont suivi
le printemps 2012 n'ont su préserver."
(texte: Mathieu Arsenault)
Geoffroy Delorey et Nicolas
Lachapelle, Pavé et mémoire, Coopérative d’édition en jachère,
2012.